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S'identifier en ligne: un choix de société

Publié le 09.09.2025. Mis à jour le 09.09.2025.

L'e-ID représente-t-elle une atteinte à la vie privée? Doit-on craindre une exploitation commerciale de nos données personnelles? Est-elle incontournable? Le 28 septembre 2025, le peuple suisse vote sur la loi sur l'e-ID. Pour Dessislava Leclère, maître d'enseignement à la Haute école de gestion de Genève (HEG-Genève), spécialiste en droit numérique et en droit de la protection des données, la proposition soumise au vote offre les garanties nécessaires, mais le succès de l'e-ID ne se confirmera que si les utilisatrices et les utilisateurs lui accordent leur confiance.

Dessislava Leclère, maître d'enseignement à la Haute école de gestion de Genève.

Dessislava Leclère, maître d'enseignement à la Haute école de gestion de Genève.

La création d’une e-ID correspond-elle à une réalité sociétale?
Dans un monde où les interactions se déplacent de plus en plus vers l’espace en ligne, la capacité de prouver son identité de manière sécurisée ne relève plus de la simple innovation technologique. Elle correspond à une exigence sociétale. La Suisse n’est pas un État pionnier en la matière, mais la mise en œuvre progressive et réfléchie du dispositif témoigne d’un souci d’équilibre entre innovation et confiance. L’e-ID ne se limite pas à une simplification administrative. C’est une porte d’entrée vers un écosystème élargi, incluant tant les autorités cantonales et communales que les acteurs privés et garantissant une interopérabilité des usages. 

Quels risques l’e-ID permet-elle de réduire?
À mesure que les citoyens effectuent un nombre croissant de démarches « en ligne », la nécessité de disposer d’un instrument fiable pour attester son identité devient incontournable. L’usurpation d’identité est reconnue comme une infraction pénale depuis 2023. Elle touche chaque année des milliers de victimes dont les données personnelles (photo, nom, adresse, commune d’origine etc.) sont dérobées. En stockant les informations directement sur le smartphone de l’utilisateur et en ne transmettant que les éléments nécessaires, l’e-ID peut fortement réduire ces risques. Elle devient aussi un outil de protection renforcée des enfants et de la jeunesse en permettant de vérifier que les personnes qui utilisent des services en ligne ont l’âge requis. Toutefois, et c’est là une caractéristique essentielle de l’e-ID suisse, l’outil est conçu comme un outil facultatif. Son usage n’est pas imposé et les procédures papier demeurent valables. Cette dimension volontaire permet de respecter la diversité des pratiques et de ménager une transition inclusive vers le numérique.

En quoi l’e-ID permet-elle un meilleur contrôle de nos données?
Contrairement au projet rejeté en 2021, alors porté par des acteurs privés, le nouveau système repose sur une infrastructure publique développée selon le principe de l’open source et accessible publiquement, notamment sur GitHub. Cette orientation vise à instaurer un contrôle citoyen effectif. La gouvernance associe la Confédération, les cantons, la société civile et le secteur privé. Elle permet d’adapter l’e-ID à divers cas d’usage comme des démarches administratives, validation de diplômes, titres de transport et autres. Loin de se réduire à une simple technologie, l’e-ID devient ainsi un instrument de confiance démocratique. L’e-ID fonctionne comme un véritable trousseau numérique dont le citoyen détient les clés et ne donne accès qu’aux données strictement nécessaires. Les utilisateurs choisissent avec qui partager leurs informations, conservant ainsi un pouvoir de décision autonome. Ce n’est pas seulement un outil de simplification numérique, mais aussi une garantie renouvelée de souveraineté individuelle dans un environnement où la maîtrise des données personnelles est devenue un enjeu majeur de société.

Dans quel cas ou pour qui l’e-ID représente-t-elle un progrès par rapport à la situation actuelle? Quels sont ses avantages?
L’e-ID se présente comme une avancée majeure en matière de protection des données.  La conception du système intègre les principes de protection des données dès l’origine (privacy by design) et de minimisation des données. L’objectif est clair - garantir que chaque citoyen garde le contrôle effectif de ses données au moyen d’un des systèmes les plus rigoureux en Europe. Transmettre uniquement les informations strictement nécessaires, sans exposer l’ensemble des données personnelles de l’utilisateur illustre une logique de minimisation des données et de proportionnalité qui sont des principes essentiels du droit de la protection des données.
Ce projet met également en avant des dimensions d’inclusion. La nouvelle application e-ID est conçue pour être pleinement accessible aux personnes en situation d’handicap. Elle favorise une adoption plus large et prévient la création d’une fracture numérique

Quel est (ou quel pourrait être) l’apport des HES dans le débat et l’utilisation de l’e-ID? Quels sont les aspects de l’e-ID sur lesquels vous avez travaillé?
L’e-ID constitue un projet développé de manière agile et reposant sur une collaboration interinstitutionnelle. Son succès ne pourra être garanti que si les utilisateurs lui accordent leur confiance. À cet égard, les Hautes écoles spécialisées (HES) jouent un rôle déterminant, à la fois comme actrices du débat public et comme passeuses de savoir. La protection des données occupe une place centrale dans mon travail. L’e-ID en fait partie avec une sensibilisation de nos étudiants sur le sujet dès 2022. Le lien entre technologie et respect de la vie privée est particulièrement mis en évidence, afin de démontrer que l’innovation peut aller de pair avec la garantie des droits fondamentaux.