L’initiative est-elle scientifiquement défendable ?
Julien Intartaglia : Une partie de la littérature scientifique, également récente, fait clairement le lien entre promotion et consommation des produits du tabac. A l’opposé, James J. Heckman, Prix Nobel d’économie en 2008, a effectué une méta-analyse du corpus des connaissances dans ce domaine. Les aspects méthodologiques employés lors des études, en particulier, l’ont amené à remettre en question et nuancer ce lien.
Alors, pourquoi s'allume-t-on une cigarette ?
Dans les sciences du comportement, on s’aperçoit que la publicité ne donne pas plus que d’autres facteurs envie de consommer. Elle est bien sûr un déclencheur, un incitateur, elle prédispose à l’acte d’achat. Mais le consommateur est une boîte noire qui réagit à beaucoup d’autres stimuli, il est le fruit d’un vaste environnement socio-culturel. Il a acquis des normes, des valeurs, des croyances par le biais de ses parents, de ses proches, de ses amis, qui vont jouer des rôles autrement plus considérables dans son comportement.
L’initiative manque-t-elle sa cible ?
Cette initiative a malheureusement la faiblesse de croire que si l’on supprime la publicité pour le tabac, la consommation va drastiquement chuter. C’est un leurre. Ce n’est pas parce que j’enlève un élément dans un environnement dont de multiples facteurs peuvent être déterminants pour construire un comportement, que les habitudes d’une personne vont complètement changer. Je suis en faveur de cette initiative car, sur le fond, il faut protéger les jeunes du tabagisme, mais je suis nuancé sur ses effets supposés.
Dans ce cas, comment faut-il aborder la prévention du tabagisme ?
Quand vous travaillez sur des habitudes, il faut s’intéresser aux neurosciences et au «nudge» afin de comprendre comment l’on peut déclencher une évolution favorable du comportement. Il faut chercher à savoir comment se passe socialement les premières initiations à la cigarette. L’addiction n’existe pas encore, mais la possibilité du choix oui. A quoi est conditionné ce choix? A l’environnement socio-culturel particulièrement. Si je peux identifier une mauvaise habitude, je peux proposer une architecture de choix avec une incitation orientée pour être dans la suggestion, pas dans l’interdiction et dans la contrainte! Ainsi, via l’effet cumulé (un petit changement qui sur la durée produit de grandes choses), l’individu peut faire évoluer favorablement et durablement son comportement dans le temps, tout en jouissant de son libre arbitre en apparence. Le problème dans la prévention, c’est que les institutions adoptent une approche rationnelle or nous sommes irrationnels, nos prises de décision étant majoritairement le résultat d’automatismes, de réflexes et d’émotions. C’est sur ce registre-là que j’appuie mon approche.