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«La 13e rente, c'est d’abord un choix de société»

Publié le 14.02.2024. Mis à jour le 14.02.2024.

Pour Marion Repetti, professeure à la HES-SO Valais-Wallis - Haute Ecole et Ecole Supérieure de Travail Social, l'initiative sur la 13e rente AVS soumise en votation populaire le 3 mars 2024 représente un choix idéologique entre responsabilité individuelle et gestion collective des risques.

Marion Repetti, professeure à la HES-SO Valais-Wallis - Haute Ecole et Ecole Supérieure de Travail Social.         (Photo Bertrand Rey)

Marion Repetti, professeure à la HES-SO Valais-Wallis - Haute Ecole et Ecole Supérieure de Travail Social. (Photo Bertrand Rey)

La précarité des seniors est-elle principalement financière?
Dans le débat politique, on a toujours un peu de peine à savoir de qui on parle en termes de précarité. La notion couvre un large spectre. Il y a la précarité sociale ou les problématiques de l'âgisme, que l'on rencontre même si l'on n'est pas pauvre. L'élément financier recoupe évidemment beaucoup d'aspects, comme l'accès aux besoins de base: manger, se payer son chauffage et son eau, ce qui représente déjà une difficulté pour une partie de la population. Mais il y a aussi les problèmes d'accès aux soins, en particulier pour les soins qui ne sont pas couverts, ou seulement partiellement, par l'assurance maladie, comme les soins dentaires, les problèmes d'ouïe, de la vue. Et plus on vieillit, plus ça devient problématique. Enfin, la précarité ne concerne pas que les personnes qui ont un parcours de pauvreté, qui ont toujours été en situation de pauvreté ou à la limite. Elle touche aussi la classe moyenne qui peut en être affectée en raison d'accidents de vie: chômage, divorce, maladie, ce qui va avoir un impact sur la capacité d'emploi. 

Est-ce que l'allongement de la durée de vie influence la précarité?
Oui, car plus les gens vieillissent, plus ils sont pauvres et plus ils sont dans une situation précaire. Beaucoup de personnes sortent leur deuxième pilier au moment de prendre leur retraite et l’utilisent pour vivre, ainsi que leur troisième pilier si elles ont en un. Une fois ces revenus épuisés, le risque de pauvreté augmente. Ce qu'il faut se dire, c'est que la vieillesse, c'est long, et que cela concerne une grande partie de la population. L'initiative ne vise donc pas que des personnes qui viennent d'entrer à la retraite, mais aussi celles qui sont potentiellement plus âgées.

Est-ce un bon signe quand les seniors sont au centre de l’attention politique ? 
Il y a une part de démarche électoraliste, c'est certain. Mais sinon, les assurances sociales n’ont pas été mises en place seulement par générosité. Politiquement parlant, ce n'est pas pertinent de laisser les gens dans la pauvreté, cela crée des conflits sociaux. On sait également que l'augmentation de la précarité va de pair avec l'augmentation des extrémismes politiques. L'assurance permet une certaine paix sociale. C'est un aspect à prendre en compte aujourd’hui. 

Les femmes sont de plus en plus actives professionnellement. Comment cela se traduira-t-il sur leur retraite? 
Les femmes, qui sont aujourd'hui plus touchées par la précarité, peuvent potentiellement bénéficier demain d’une meilleure protection si elles sont davantage insérées dans l'emploi. Mais on constate aussi une précarisation du marché du travail, avec une augmentation des contrats à durée déterminée, qui ne sont pas forcément soumis au deuxième pilier. Il faut tenir compte également de toute la problématique du chômage, du chômage de longue durée, et des personnes employées à temps partiel, moins bien couvertes par le deuxième pilier. Ces types de contrats concernent nettement plus les femmes que les hommes. C'est donc compliqué de prévoir l'impact de ces transformations.

La 13e rente, est-ce une bonne solution ? 
C'est d’abord un choix de société. Doit-on privilégier la responsabilité individuelle ou la gestion collective des risques? Ce débat existe depuis bien avant l'adoption de l’AVS et des assurances sociales en général. Est-on plutôt en faveur d'une société qui fonctionne sur des assurances qui couvrent l'ensemble de la population ou préfère-t-on un système d'assistance qui évalue à chaque fois les situations pour prendre des mesures plus ciblées, comme c’est le cas des prestations complémentaires? Le problème avec ce dernier type de mesures, c’est qu'elles ne permettent pas de réellement lutter contre la pauvreté, puisqu’il y a un important taux de non-recours, sans compter toutes les personnes qui sont juste au-dessus de la limite pour en bénéficier. Mon propos, c'est de dire que dans ce système, c’est l'impôt qui doit servir à la redistribution, sinon on ne fait aucune assurance sociale.