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«La votation sur l'aménagement des routes nationales mobilise beaucoup, car elle reflète un débat de société»

Interview Publié le 12.11.2024. Mis à jour le 12.11.2024.

L’étape d’aménagement 2023 des routes nationales est soumise en votation le 24 novembre 2024. Yves Delacrétaz, professeur à la HEIG-VD et HES-SO Master, expose les enjeux de cette nouvelle phase qui prévoit l’élargissement de plusieurs tronçons autoroutiers suisses.


Davantage de voitures égale davantage de routes ou davantage de routes égale davantage de voitures ?

C'est un peu les deux. C'est la loi de l'offre et de la demande. L'offre correspond aux infrastructures, et la demande, aux déplacements. Ce qui régule le lien entre les deux, c’est un peu le prix, mais surtout les temps de parcours. Si on met en place des infrastructures plus performantes permettant de se déplacer plus rapidement, cela va stimuler la demande. Contrairement à l'économie classique, ici, ce sont les pouvoirs publics qui mettent en place les offres. Ils doivent intégrer des enjeux qui vont au-delà de la simple mobilité, comme l'aménagement des villes, le territoire, l'environnement, le climat ou encore l'attractivité économique.

Comment évoluent actuellement les comportements en matière de déplacements en Suisse ?

Pendant longtemps, le trafic automobile augmentait, dû à la croissance de la population, à des distances de déplacements croissantes et à un nombre de voitures en augmentation dans les ménages. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. On observe que le trafic automobile n'augmente plus, ou très peu, malgré une forte croissance de la population. L'équipement en voiture des ménages diminue, et les jeunes générations se déplacent moins en voiture. Les distances de déplacement n'augmentent quasiment plus non plus. C’est un phénomène observé depuis une dizaine d’années, et il sera intéressant de voir comment cela va évoluer.

Quelles alternatives n'ont pour l'instant jamais été explorées, voire peu ou pas appliquées?

Ce n'est pas tellement une problématique technique, car de nouvelles solutions de mobilité sont développées chaque jour. La question est de savoir comment concevoir une offre de mobilité intégrée, attractive, et qui utilise moins de ressources et d'énergie. C’est relativement complexe. La clé n'est pas tant technique, mais plutôt dans ce que les gens vont accepter, ce qui va fonctionner et pouvoir se développer. Nous devons intégrer dans nos pratiques non seulement les sciences techniques, mais aussi les sciences sociales.

Est-il difficile de changer les habitudes des gens pour qu'ils adoptent des modes de transport alternatifs ?

Oui, c’est assez compliqué. Les sciences sociales montrent que l’habitude a un fort impact, comme celle de toujours utiliser la voiture, et inversement, le manque d'habitude ou même de compétences pour utiliser les transports publics ou le vélo. C'est vraiment une question de compétences. On pourrait peut-être mieux accompagner les gens pour leur permettre de découvrir et s’habituer à d'autres modes de transport. Aujourd'hui, les jeunes s’y adaptent naturellement, et on voit bien qu'ils utilisent beaucoup moins la voiture que leurs aînés.

Comment cette votation pourrait-elle influencer les choix futurs en matière d’infrastructures et de gestion des territoires en Suisse ?

Cette votation mobilise beaucoup, car elle reflète un débat de société : est-ce qu'on continue sur le modèle de mobilité actuel, fondé principalement sur le déplacement en voiture, ce qui nécessite d’accroître les infrastructures routières pour répondre à cette demande ? Ou bien, doit-on accompagner et renforcer un changement, qui selon moi est déjà en cours, vers d'autres types de mobilité ? Dans ce dernier cas, il serait contre-productif d’accroître les infrastructures routières.

Vous avez étudié le projet d’élargissement Nyon-Vengeron, quelles sont vos principales observations ?

Plus j’ai étudié ce projet, plus j’ai perçu une forte dichotomie entre les objectifs énoncés par la Confédération et la réalité observable. Ce projet repose sur l'idée d'une forte croissance du trafic automobile, mais les chiffres ne le confirment pas. Le trafic sur l'autoroute est stable depuis dix ans, et sur les routes cantonales, qui sont parfois considérées comme des alternatives à l'autoroute, il diminue fortement. Selon les statistiques de l'Office fédéral des routes, ce tronçon n'est pas particulièrement embouteillé. D’autres tronçons proches connaissent des bouchons, mais pas celui-ci. Cela soulève vraiment des questions sur la raison pour laquelle ce projet a été inclus dans ce paquet.