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«Les défis du climat, de la biodiversité, de l’énergie sont indissociablement liés. Il convient de les concilier davantage que de les opposer»

Durabilité Publié le 29.08.2024. Mis à jour le 04.09.2024.

Professeur à la Haute école du paysage, d'ingénierie et d'architecture de Genève - HEPIA, responsable de la filière Gestion de la nature , du Laboratoire d'écologie végétale et de l'Institut Terre Nature Paysage, Patrice Prunier est spécialiste du diagnostic écologique. D’une entrave à la production agricole pour les uns à un soutien à un environnement viable pour les autres, il évoque les différentes perceptions de l’initiative Biodiversité, soumise en votation populaire le 22 septembre 2024.

Patrice Prunier: «A long terme, il n’y a guère d’alternative, il importe de produire avec la biodiversité.»

Patrice Prunier: «A long terme, il n’y a guère d’alternative, il importe de produire avec la biodiversité.»

Donne-t-on trop d’importance à la biodiversité en Suisse? 

La question est de nature éthique et son intérêt est dans le terme « trop ». Trop pour qui ? Trop pourquoi ? Trop quand ? Il n’y a pas de réponse simple à cette question qui renvoie au dilemme manichéen du bien et du mal, invite à un positionnement et révèle des différences de sensibilités, de positionnements et d’intérêt, probablement des choix de critères différenciés et orientés pour quantifier ce « trop » ? Ainsi, pour certains, la biodiversité constitue une entrave à la production, à l’efficience économique, au bien-être. Pour d’autres c’est une condition sine qua non de notre durabilité, du maintien de notre cadre de vie, d’un environnement viable et d’un monde vivant dont nous sommes issus. Je répondrais in fine par une question: peut-on accorder trop d’importance à la diversité des gènes, espèces et écosystèmes dont nous sommes issus et fondamentalement dépendants pour la variété de notre alimentation, notre santé, nos habitats, notre santé mentale ?

Le renforcement de la biodiversité peut-il influencer le changement climatique en Suisse?

La réponse est clairement oui. C’est tout l’objet de la restauration écologique qui s’emploie par exemple à revitaliser des cours d’eau en leur offrant un espace de liberté, réduisant par la même les risques de crues et les vitesses d’écoulement, permettant une infiltration plus importante, ou encore à renaturer (autant que possible) les villes par les revégétalisations arborées, arbustives et herbacées, des allées, parcs et toitures, pour atténuer des pics de températures. Reconstituer des écosystèmes, c’est outre le développement de végétaux et d’animaux, offrir la possibilité à leur sol de stocker du carbone, de l’eau, des bactéries, invertébrés et champignons qui participent à un fonctionnement non perturbé des cycles biogéochimiques, limitant ainsi les pollutions, le réchauffement climatique tout en développant des réseaux fonctionnels de biodiversité. Face aux canicules répétées, ces démarches sont appréciées des populations urbaines. A titre d’exemple, des villes comme Sion, Lausanne, Genève ont d’importants projets dans ce domaine. Les défis du climat, de la biodiversité, de l’énergie sont indissociablement liés. Il convient de les concilier davantage que de les opposer par exemple en aménageant des toitures solaires végétalisées, qui permettent de produire de l’énergie, accueillir de la biodiversité, atténuer les pics de chaleurs urbains et stocker du carbone et de l’eau.

Comment expliquer que les Suisses privilégient parfois la défense du paysage (initiative Weber) parfois moins (loi sur l’approvisionnement en électricité) ?

Est-ce une contradiction ou une recherche d’équilibre entre des penchants répondant à des besoins différents s’exprimant dans des contextes différents ? La qualité d’un cadre de vie, des paysages, auquel nous aspirons-tous, les Suisses y sont culturellement attachés, comme la couverture de leurs besoins énergétiques, leur indépendance, face aux crises énergétiques, climatiques et géopolitiques actuelles. Les dates et les contextes des prises de position sont fondamentalement importants de ce point de vue. Même si la production d’électricité solaire sera développée avant tout sur les bâtiments, le point délicat de la modification de la loi sur l’énergie est effectivement le développement d’infrastructures de production en zone de naturalité élevée. Cela renvoie à un dilemme bien connu des psychologues: comment trouver l’équilibre en maitrisant ses paradoxes ?

Le lobby agricole s’oppose à l’initiative Biodiversité. Sa position et celle des partisans sont-elles irréconciliables ?

ll y a clairement une différence de sensibilités, de visions et d’intérêts… Néanmoins, la production n’est possible sans la biodiversité. Inversement, préserver la biodiversité sans production agricole nous renvoie au statut de nomades. A long terme, il n’y a pourtant guère d’alternative, il importe de produire avec la biodiversité. C’est le credo de l’agriculture durable, de l’agroécologie, veillant à respecter un équilibre entre des impératifs économiques, sociétaux et environnementaux induisant la protection des sols, de l’eau et de la biodiversité.