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«L’Eurovision a perdu son côté ringard»

Musique et Arts de la scène Publié le 12.05.2025. Mis à jour le 12.05.2025.

Le concours de l’Eurovision 2025, du 13 au 17 mai à Bâle, réunira 160 millions de téléspectateurs. Adjoint de direction du Département des Musiques actuelles à l’HEMU - Haute Ecole de Musique de Lausanne, compositeur et producteur pour Stress, Booba ou Joey Starr notamment, Yvan Jaquemet décrypte le regain d’intérêt pour cette compétition internationale.

Yvan Jaquemet/ HEMU

Yvan Jaquemet/ HEMU

Comment expliquez-vous l'engouement populaire pour l'Eurovision? 
Dans les années 1990 et 2000, l’Eurovision était devenu extrêmement ringard. Le public de ce genre d’événement avait vieilli. Et puis, aux alentours de 2010, les jeunes s'en sont emparés. Le fait que la communauté LGBTQ+ s'y intéresse a notamment participé à ce renouveau. Ce mouvement a drainé dans son sillage un public plus jeune. Mais l’Eurovision a également évolué musicalement, avec des compositions davantage au goût du jour que dans les années 1990 et 2000.

L'Eurovision peut-il inspirer les futur⋅es professionnel⋅les de l’HEMU ? 
L’Eurovision est avant tout un divertissement. C'est un show télévisé qui s’approche des télécrochets musicaux, tels que The Voice ou Star Academy. La musique n'est pas toujours au premier plan. L’exécution musicale est peu intéressante, car c’est principalement du playback, le chant excepté. Pour nous, l’intérêt n’est donc pas forcément là. En revanche, la scénographie, le spectacle, sont des aspects plus intéressants. En matière de présence scénique, il y a des éléments à retenir pour nos étudiantes et étudiants. Quant à la composition, c’est très variable. Beaucoup de morceaux sont extrêmement convenus. Mais de temps en temps, certains sortent du lot, comme celui qui a permis à Nemo de remporter l’Eurovision l’an dernier. J’ai trouvé extrêmement intéressant la manière dont ce morceau mêle différentes influences, l'opéra notamment. Il y a aussi un aspect très moderne, très actuel, avec des parties très saccadées. En termes de rythmique également, il y a plusieurs influences, jungle notamment. Et malgré toutes ces influences, l’ensemble du morceau reste très cohérent. Pour les étudiantes et les étudiants, c'est un exemple extrêmement intéressant à analyser.

Si vous deviez enseigner « l’art de faire une chanson Eurovision », quelles en seraient les grandes lignes?
Il faut partir dans la pop music, c’est une évidence. Le thème doit être rassembleur, pas trop personnel. Et puis, selon l'exemple de Nemo, associer des codes extérieurs à la pop, tout en veillant à ce que le morceau reste homogène. J’ajouterais encore que l'ensemble doit être assez énergique et optimiste.

Que représentait l’Eurovision lorsque vous étiez actif sur la scène musicale, en tant que compositeur et producteur?
J’avais la vingtaine dans les années 1990 et j’ai fait carrière ensuite dans le milieu du rap, qui n’a jamais été le style de l'Eurovision. La manifestation ne m’intéressait absolument pas. Aujourd’hui, j’ai l’impression que le concours s’oriente vers quelque chose de moins consensuel, que ce soit en termes de paroles ou de musique. La diversité est bien représentée. Mais c’est tout à fait dans l'air du temps. Si cela s’était produit il y a vingt ans, ç’aurait été plus surprenant.

Est-ce que l'Eurovision permet encore de lancer une carrière ?
Remporter l'Eurovision a été à l’origine de carrières internationales, sinon nationales. Je pense à Abba, Céline Dion, France Gall. Actuellement, c'est plutôt l'exception quand une carrière naît grâce à l’Eurovision. Dans les dix dernières années, je ne vois que le groupe Maneskin qui ait réussi. Mais ce qui est certain, c'est que le vainqueur obtient une visibilité difficilement égalable. L’Eurovision, c’est 160 millions de téléspectateurs. Il faut donc avoir une équipe avec soi pour se lancer et enchaîner très rapidement avec d’autres morceaux pour capitaliser sur cette énorme visibilité. Il faut aussi se préparer à assumer cette notoriété. Une autre difficulté, puisque l’Eurovision est d'abord un show télévisé et qu’il s’agit de plaire au plus grand nombre, c’est que l'identité artistique n’est souvent pas assez claire. C'est peut-être pour ça que le public peut adorer le morceau gagnant, sans nécessairement suivre l'artiste par la suite.