Qu'est-ce que l'Open Access?
Définition, stratégies de mise en œuvre, avantages et risques de l'Open Access
L’Open Access, ou accès libre, est la littérature scientifique librement et immédiatement disponible sur internet avec des droits de réutilisation complets.
Dans le monde académique et politique, l’Open Access s'est imposé comme le nouveau standard de la recherche de haut niveau. Mais quels sont les stratégies de sa mise en oeuvre? Quels en sont les avantages? Et quels en sont les risques?
Définition, origine et enjeux de l'Open Access
L’Open access est, en bref, la littérature scientifique numérique en ligne, gratuite et libre de la plupart de restrictions de licence et copyright. Les définitions sont nombreuses. La plus largement reprise et utilisée est celle de l’Initiative de Budapest pour l’accès ouvert (2002).
Mais au-delà des définitions, il y a, derrière l'Open Access, des enjeux fondamentaux (économiques et sociaux) en matière de diffusion du savoir scientifique. Pour se familiariser à l'Open Access et ses enjeux en 8 minutes, voir la vidéo en haut à droite. Pour approfondir, voir la conférence passionnante de Bruno Strasser.
Définition de l’Initiative de Budapest pour l’accès ouvert (2002)
« La littérature qui devrait être accessible en ligne gratuitement est celle que les savants donnent au monde sans en attendre de rétribution. Principalement, cette catégorie englobe leurs articles dans des revues à comités de lecture, mais aussi toute prépublication n'ayant pas encore fait l'objet d'une évaluation qu'ils pourraient souhaiter mettre en ligne pour commentaire ou pour avertir leurs collègues d'une découverte scientifique importante. Il existe de nombreux degrés et types d'accès plus large et plus simple à cette littérature. Par "accès libre" à cette littérature, nous entendons sa mise à disposition gratuite sur l'Internet public, permettant à tout un chacun de lire, télécharger, copier, transmettre, imprimer, chercher ou faire un lien vers le texte intégral de ces articles, les disséquer pour les indexer, s'en servir de données pour un logiciel, ou s'en servir à toute autre fin légale, sans barrière financière, légale ou technique autre que celles indissociables de l'accès et l'utilisation d'Internet. La seule contrainte sur la reproduction et la distribution, et le seul rôle du copyright dans ce domaine devrait être de garantir aux auteurs un contrôle sur l'intégrité de leurs travaux et le droit à être correctement reconnus et cités. »
Conférence: cinquante nuances d'Open (49:51 min)
Cette conférence de Bruno Strasser*, donnée le 11 novembre 2016 à l'UNIGE, apporte des informations claires et précises sur ce qu'est l'Open Access: définition, origine, contexte économique global et enjeux.
https://mediaserver.unige.ch/play/98069
*historien des sciences et professeur à l'Université de Genève.
Stratégies de mise en œuvre de l'Open Access
Des origines communautaires aux politiques institutionnelles
Le mouvement Open Access est né dans les milieux scientifiques et les bibliothèques face aux coûts croissants des abonnements aux revues. Les initiatives fondatrices comme l'Initiative de Budapest (2002) et la Déclaration de Berlin (2003) ont établi les bases d'un accès libre et gratuit à la recherche.
Aujourd'hui, les décideurs politiques européens se sont approprié ce mouvement, transformant une initiative "bottom-up" en stratégies nationales ambitieuses.
Le Plan S européen
Lancé en 2018 par Science Europe et la cOAlition S, le Plan S impose :
- La publication immédiate en Open Access de toutes les recherches financées sur fonds publics (dès 2020)
- Une utilisation non-restrictive des publications (full Open Access)
- Un changement des critères d'évaluation de la recherche
La stratégie suisse : un modèle flexible
La Suisse a adopté une approche plus souple avec swissuniversities :
Objectif : 100% des publications en Open Access d'ici 2024
Stratégie mixte combinant trois voies :
- Green Road : auto-archivage sur serveurs institutionnels
- Gold Road : publication directe dans des revues Open Access
- Hybrid Road : négociations avec les éditeurs (contrats de compensation)
Le FNS soutient cette flexibilité en autorisant des délais d'embargo de 6 mois pour les articles et 12 mois pour les monographies.
L'approche HES-SO
La HES-SO a adopté sa stratégie Open Access en 2018, privilégiant :
- Une approche souple respectant la liberté académique
- La voie verte via l'archive institutionnelle ArODES
- L'adaptation aux spécificités de la recherche appliquée
Projets et initiatives
La HES-SO participe à plusieurs projets nationaux :
- ArODES : archive institutionnelle obligatoire
- SONAR : archive nationale de publications
- SLSP : plateforme nationale pour bibliothèques scientifiques
- DLCM : gestion des données de recherche
Elle collabore également avec swissuniversities pour les négociations avec les grands éditeurs et l'harmonisation des pratiques.
Les avantages de l'Open Access
Démocratisation du savoir
L'Open Access transforme la recherche en bien public accessible à tous. En sortant du modèle payant des bases de données propriétaires, il permet :
- L'accès universel aux connaissances financées sur fonds publics
- L'élimination de la "double taxation" du contribuable
- La diffusion égalitaire du savoir, indépendamment des moyens financiers ou de l'origine géographique
Visibilité et impact accrus
Plusieurs études, dont une étude d'impact de l'Open Access sur les monographies scientifiques du FNS, démontrent désormais les bénéfices concrets de l'Open Access :
- Consultations et citations : les articles et monographies en libre accès sont davantage lus, téléchargés et cités
- Portée internationale : les travaux de recherche sont diffusés au niveau mondial
- Nouveaux publics : les praticiens, entreprises et citoyens accèdent plus facilement aux résultats de recherche
- Complémentarité : la publication en libre accès n'affecte pas les ventes papier des ouvrages
Cette visibilité renforcée favorise le développement de réseaux professionnels plus étendus.
Évolution de l'évaluation de la recherche
L'Open Access s'accompagne d'une réforme des modes d'évaluation de la recherche, incarnée par la Déclaration de San Francisco (DORA) que la HES-SO a signée aux côtés de 14'000 autres organisations et individus.
Cette déclaration prône une évaluation plus équitable en valorisant toutes les formes de production scientifique (monographies, travaux locaux, publications non-anglophones) plutôt que de se limiter aux articles dans les grandes revues, en privilégiant le contenu scientifique plutôt que la notoriété du journal (remise en cause de l'Impact Factor), et en intégrant les retombées sociétales de la recherche dans les critères d'évaluation.
Les risques liés à l'Open Access
Les journaux prédateurs
L'essor de l'Open Access s'est accompagné du développement d'éditeurs "prédateurs" exploitant le modèle auteur-payeur. Ils attirent les chercheurs avec des promesses de publication rapide contre paiement.
Signaux d'alerte pour les chercheurs :
- Frais exorbitants sans contrôle éditorial
- Notification des coûts après acceptation
- Spam agressif d'invitations
- Acceptation ultra-rapide d'articles canulars
- Fausses informations sur la localisation ou les facteurs d'impact
Comment se protéger : utiliser le Directory of Open Access Journals (DOAJ) et le guide "Penser. Vérifier. Soumettre" pour identifier les revues légitimes.
Défis économiques
Le modèle économique de la publication scientifique a connu des changements majeurs avec l'adoption de politiques Open Access, en passant d'un modèle "lecteur-payeur" à "auteur-payeur".
Les frais de publication (APC pour les articles, BPC pour les livres) constituent la principale préoccupation concernant l'Open Access, variant de la gratuité à 5'000 dollars par article chez les grands éditeurs. Ces coûts sont actuellement pris en charge par les bailleurs de fonds comme le FNS et la Commission européenne pour les publications issues de projets qu'ils financent, tandis qu'au sein de la HES-SO, chaque école détermine sa propre politique de financement pour les publications en Gold Open Access. En revanche, le Green Open Access reste gratuit grâce à l'archive ouverte ArODES mise à disposition par la HES-SO.
Le recul ne permet pas encore de mesurer si les coûts vont réellement diminuer avec le nouveau modèle. Mais le risque majeur est de voir les inégalités se creuser entre les chercheurs du Nord et ceux du Sud. Les seconds peuvent, en effet, beaucoup plus difficilement s’acquitter des frais de publication.
Adaptation disciplinaire
Le mouvement Open Access, initialement conçu pour les sciences médicales et techniques (SMT), fait face à des critiques concernant son adaptation aux autres disciplines.
Pour les sciences humaines et sociales (SHS) : Ces disciplines présentent des spécificités qui compliquent l'application des politiques Open Access. La recherche s'appuie davantage sur les monographies que sur les articles, le lectorat est plus diversifié, et la qualité linguistique est d'une importance cruciale. Les éditeurs, souvent de petite taille, jouent un rôle qualitatif essentiel. Les exigences d'Open Access risquent de contraindre les chercheurs vers des formats inadaptés et de fragiliser l'écosystème éditorial de ces disciplines.
Des adaptations ont toutefois été mises en place : prolongation des délais d'embargo à 12 mois pour les monographies et prise en charge par le FNS des frais de publication Open Access des monographies, même non issues de projets financés.
Pour les domaines arts et design : Ces domaines peinent encore à trouver leur place au sein des politiques Open Access. La communication scientifique y passe principalement par des supports non-écrits (audio, vidéo, visuel), nécessitant des infrastructures spécifiques. La HES-SO prévoit une transition plus progressive pour ces champs de recherche.