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Réfugié·es afghan·es, la crise de l’accueil

Travail social Publié le 27.09.2021. Mis à jour le 14.10.2021.

Anne-Cécile Leyvraz, chercheuse à la Haute école de travail social et de la santé Lausanne, spécialiste du droit d’asile et des migrations, déconstruit les stéréotypes et les craintes sur l'asile dans la perspective de la crise afghane. Elle rappelle que la législation suisse en matière d'asile crée également des situations qui nourrissent les discours populistes.

Anne-Cécile Leyvraz

Anne-Cécile Leyvraz © HETSL

La situation afghane soulève-t-elle des enjeux particuliers pour la Suisse (par rapport aux migrations moyen-orientales ou subsahariennes notamment)?

Anne-Cécile Leyvraz : À noter tout d’abord que les ressortissant·es afghan·es comptent pour une part très faible de la population étrangère en Suisse. D’après les chiffres annoncés par Mme Keller-Sutter, ils et elles sont environ 20'000 sur le territoire suisse, dont une grande majorité - environ 15'000 – relève du domaine de l’asile. Les statistiques du Secrétariat d’Etat aux Migrations quant à elles font état de 12'700 personnes afghanes dans le processus asile au 31 août 2021 en Suisse. Avec 1'435'445 réfugié·es afghan·es enregistré·es auprès des autorités à la fin de l’année 2020, le Pakistan reste donc de loin le principal pays de destination.

Quant à la réponse à apporter à la question de savoir si cette population soulève des enjeux particuliers, elle dépendra bien évidemment de l’angle retenu. D’un point de vue juridique, on ne peut que remarquer que certaines des questions qui émergent aujourd’hui ne sont pas nouvelles : Qui peut venir en Suisse pour y chercher protection ? Existe-t-il des voies d’accès sûres et légales ? Comment faire et à qui s’adresser ? Les réponses à ces questions mettent en exergue la complexité du système qui propose des réponses différentes selon le type de demande, le permis de la personne qui fait la demande, l’existence d’un lien avec la Suisse, et le cas échéant, avec qui. Ce système est incompréhensible pour la plupart des personnes concernées et ce sont principalement les associations de terrain et les collectifs qui se mobilisent pour informer, conseiller et accompagner (information du CSP, du SAJE et de l’OSAR). 

La législation suisse en matière d'accueil vise-t-elle à l’intégration des réfugié·es?

Dans le langage courant, le terme « réfugié » renvoie à une pluralité de statuts juridiques, qui correspondent à des permis différents. Or, les politiques d’intégration diffèrent d’un statut à l’autre : les personnes qui séjournent ou résident en Suisse n’ont pas toutes les mêmes droits et le même accès à des mesures d’intégration ou d’insertion. Si certaines peuvent – ou plutôt, doivent ­– s’intégrer, pour d’autres, c’est l’objectif inverse qui est recherché. Par exemple, le régime d’aide d’urgence mis en place pour les personnes qui ont une attestation de délai de départ (c’est-à-dire, que la demande d’asile a été rejetée ou la Suisse n’est pas entrée en matière) n’a aucune visée en matière d’intégration. Elles n’ont pas le droit de travailler, n’ont pas accès à des formations (ou alors, exceptionnellement), et se voient fournir le minimum vital en nature. Sa forme et son contenu varient d’un canton à l’autre, mais en tous les cas, il s’agit de créer des conditions de vie précaires pour un temps qui devrait, en théorie, être limité, afin d’encourager la personne à quitter le territoire de manière « volontaire ».

Évidemment, la réalité est plus complexe, puisque d’une part, l’aide d’urgence de longue durée s’est installée et d’autre part, les statuts ne sont pas figés. L'actualité nous en offre un exemple : suite aux changements politiques intervenus dans leur pays d’origine, on peut vraisemblablement s’attendre à ce que les personnes de nationalité afghane à l’aide d’urgence obtiennent un permis en Suisse - pour autant qu’elles en fassent la demande, cela ne se fait pas automatiquement. Une fois le permis obtenu s’opère un changement important : elles passent d’un régime visant l’exclusion à une injonction à l’intégration.

Comment lutter contre les stéréotypes sur l’asile? 

Il existe de nombreuses idées reçues sur l’asile, et sur la migration en général. Associations, chercheurs et chercheuses travaillent pour déconstruire certains mythes qui sont très répandus. Je pense notamment à l’outil interactif « Il y a ce qu’on dit sur les réfugiés. Et il y a la réalité » créé par Vivre Ensemble et en France, à « Désinfox-Migrations ». L’État met également à disposition du public de l’information sur la question de l’asile, bien qu’il contribue en parallèle à entretenir certaines idées reçues. Par exemple, on entend souvent parler du risque de voir arriver en Suisse un grand nombre de personnes venues demander asile. Or, la migration de refuge est toujours majoritairement dirigée vers les pays limitrophes (Iran et Pakistan pour l’Afghanistan ; Liban et Turquie pour la Syrie ; etc.).

Par ailleurs, avec un groupe de chercheurs et chercheuses, nous avons récemment publié un ouvrage collectif dans lequel nous décortiquons le discours de « l’abus » dans le domaine de l’asile en Suisse, un discours omniprésent et qui bénéfice d’un large consensus dans l’espace public. Or, en s’intéressant à certaines manifestations de ce discours, on s’aperçoit qu’elles renvoient à une démarche tout à fait légale : les critiques faites à l’encontre des « faux réfugiés » visent en effet des personnes qui ont déposé une demande d’asile et qui ne sont pas reconnues comme réfugiées par l’administration suisse. Cela ne constitue pas un abus de droit ! Finalement, les personnes réfugiées elles-mêmes s’engagent pour parler en leur nom dans l’espace public, ce qui me semble important pour lutter contre les stéréotypes.