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Préserver le patrimoine, objet après objet

Interview Publié le 14.05.2025. Mis à jour le 18.06.2025.

Diplômée de la HE-Arc, Mathilde Sneiders a choisi de créer son propre atelier à Monthey. En tant que conservatrice-restauratrice indépendante, elle met ses compétences au service des musées, institutions et petites structures. Entre évaluations spatiales, conservation préventive et restauration d’objets scientifiques, elle revient sur son parcours, les défis de l’entrepreneuriat et l’importance de faire connaître ce métier souvent invisible mais essentiel.

Mathilde Sneiders, dans son atelier à Monthey. © mathilde-cr.ch

Comment est né le projet de votre atelier ?

Le projet est né sur les conseils de ma famille et de mes proches. Juste avant de terminer l'école, en regardant les offres d’emploi, j’ai constaté qu’il y en avait peu dans les musées et institutions. Alors je me suis dit : autant proposer mes services à des structures plus petites, ou à de grandes qui ont besoin d'externes sous mandat.

L’idée, c’était de pouvoir aider un maximum d’acteurs à préserver le patrimoine, tout en me lançant dans l’aventure.

Quelles ont été les premières étapes concrètes pour lancer l’atelier ?

La première chose, c’était l’administratif. J’ai monté une Sàrl, contrairement à d'autres qui se lancent en indépendant·e. Ça m’a évité certaines complications, notamment pour les assurances sociales. J’ai donc dû aller chez le notaire, trouver un nom d’entreprise, puis mettre en place tout le secrétariat : modèles de devis et de factures, tarification horaire, etc.

Un point crucial a été la recherche d’assurances adaptées à mon métier, notamment pour couvrir les transports d'œuvres. Peu d’assureurs proposent ce type de prestations, donc ça m’a pris beaucoup de temps de trouver ce qui convenait.

Aujourd’hui, quel type de projets de restauration ou de conservation traitez-vous ?

Je fais surtout de la conservation : aide à la gestion des collections, évaluations spatiales, études climatiques, etc. Je propose souvent un service global selon les besoins.

Je fais un peu moins de restauration, mais j’ai remarqué que j’interviens souvent sur des objets scientifiques et techniques. Parfois, je peux les prendre à l’atelier, mais ce n’est pas toujours possible, à cause de leur taille ou de la distance. Une fois, j’ai dû aller à Saint-Gall. Dans ces cas, je me déplace avec tout mon matériel.

Je fais aussi du soclage et du montage d’exposition. Ce sont les trois pôles que j’ai appris à l’école. Je les mets actuellement tous en pratique, mais peut-être qu’un jour, je me spécialiserai.

Quel savoir-faire technique appris à la HE-Arc utilisez-vous encore aujourd’hui et quelles compétences transversales vous ont été utiles dans votre parcours ?

Les gestes appris en atelier sont ancrés en nous. On manipule les objets avec précaution. Il y a aussi tout ce qui touche à l’observation, aux tests, à l’attention portée à l’objet. Les cours sur les évaluations spatiales, la gestion des collections, m’aident aussi beaucoup. J’utilise encore les méthodes apprises en formation.

Pour les compétences transversales, les travaux de groupe m'ont été très utiles. Travailler avec des personnalités et des méthodes différentes m’a appris à gérer le stress des délais, à collaborer. Aujourd’hui, ça se retrouve dans les échanges avec les clients. Il faut comprendre leurs attentes, proposer les meilleures solutions, et bien communiquer.

Pourquoi avoir choisi ce métier ?

Au collège, j'étais en option arts visuels, mais j'aimais aussi la physique, la chimie et les maths. Je cherchais un métier qui combine les deux. Une conseillère d'orientation m'a parlé de la HE-Arc. J'ai fait une année de pause pour réfléchir, voyager, faire des stages. En discutant avec des profesionnel·les (dont certain·es diplômé·es de la HE-Arc) et en allant aux portes ouvertes, j'ai su que c'était ce que je voulais faire.

En plus, j'ai toujours aimé les objets anciens. J'en ai quelques-uns chez moi : appareils photo, objets scientifiques... J'adore aussi visiter les musées. Ce métier dans l'ombre des musées m'a tout de suite attirée.

Lors de la formation, j'ai visité sur mon temps libre des ateliers privés ou de musées, même chez un garagiste spécialisé dans les voitures anciennes. Les discussions et la vision du travail possible m’ont réconfortée dans mon choix.

Y a-t-il un souvenir marquant de votre formation qui vous a influencée ?

Oui, un appel avec le conservateur après mon travail de Bachelor. J'ai fait mon travail de Bachelor au Musée du Son à Martigny pendant le COVID. II portait sur l'évaluation spatiale de leurs réserves. Il m'a dit que mon étude avait aidé la fondation à obtenir des locaux, du mobilier et des financements. J'ai vu l'utilité concrète de ce que j'avais fait. Ce métier est souvent méconnu, mais il est crucial pour préserver le patrimoine.

Pouvoir faire ce type de collaboration, surtout avec des petites institutions, c'est très gratifiant. Certaines travaillent bénévolement et prennent le soin de faire appel à un·e professionnel·le. C'est une belle reconnaissance. Je les aide et leur donne des clés pour être en partie autonomes, mais ils savent qu'ils peuvent toujours me recontacter. Parfois, ça devient une collaboration sur plusieurs années.

Quels sont les avantages et les difficultés quand on crée sa propre structure ?

L’un des avantages, c’est la liberté des horaires. Je peux organiser mes journées, faire des travaux variés, emmener mon chien à l’atelier (sauf quand j’utilise des produits ou outils dangereux).

Mais il faut être prêt·e à tout faire : secrétariat, administratif, devis, ménage, transport, préparation du matériel. Et il faut accepter que les choses prennent du temps. Il y a des week-ends ou soirées de travail pour compenser les pauses en journée. C’est un équilibre à trouver.

Que diriez-vous à un·e diplômé·e qui veut créer son atelier ?

Prendre le temps de poser les bases : statuts, assurances, structure administrative. Il ne faut pas foncer tête baissée. Et surtout, bien s'entourer, ne pas hésiter à demander conseil. Notamment avec l’association suisse de conservation et restauration ou d’autres jeunes diplômé.es. On est souvent dans la même situation. Les échanges sont souvent réciproques : on apprend et on transmet. Ça crée un vrai réseau de soutien.

Comment voyez-vous l’évolution de votre métier ?

Souvent, mais pas toujours, dans les grandes structures, un-e conservateur·trice-restaurateur·trice est en place. Ils demandent de l’aide pour des grands chantiers de conservation ou pour de la restauration. Dans les plus petites structures, ce sont des bénévoles ou des personnes sans formation muséale spécifique.

Il faudrait une meilleure reconnaissance du métier, pour qu’ils soient bien au courant de l’aide qu’on peut apporter et à quel moment. Ce qu'on fait semble parfois être du détail, mais en réalité, c'est fondamental pour préserver les objets et gérer les collections dans de bonnes conditions.

L’association suisse de conservation et restauration travaille dans ce sens, notamment pour faire évoluer le statut du métier, informer les institutions et défendre les professionnels. J'espère que cette reconnaissance continuera de grandir.