Les femmes de Bletchley Park
Longtemps tenu secret, la participation des femmes au décryptage des messages pendant la guerre est une preuve de plus qu’il ne faut pas avoir peur de se lancer dans une voie technique.
Par notre ambassadrice Tina Jutzeler, étudiante en Génie Civil
Durant la 2ème Guerre Mondiale, les Allemands codaient leurs messages au moyen de machines nommées Enigma. Voilà le contexte dans lequel la cryptanalyse - le décodage de messages chiffrés sans en posséder la clé de chiffrement - par des machines a lieu.
Ce décodage employait de nombreux concepts et méthodes désormais utilisés en informatique. Vous avez probablement entendu parler des machines Enigma et du scientifique Alan Turing, qui joua un rôle majeur dans la cryptanalyse des dits messages chiffrés, ou peut-être pas ?
Quel nom mystérieux pour des machines, Enigma. Mais en quoi consistent ces engins ? Ces machines, inventées par les Allemands, cryptaient les messages afin qu’ils ne puissent pas être lus, même s’ils étaient interceptés. En effet, pour comprendre le contenu de ces messages codés il fallait une clé, qui changeait quotidiennement. Les Français et les Anglais ont repris les premiers travaux des scientifiques polonais et poursuivi les recherches sur ces clés de décodage.
Le cryptologue anglais Alan Turing, recruté pour cette tâche, a alors amélioré la technique de déchiffrage des messages en analysant le fonctionnement même des machines Enigma, ainsi que les mots constituant les messages. Il finit par mettre au point une machine permettant de trouver les clés journalières de toutes les machines Enigma. Une fois la clé trouvée, il fallait un grand nombre de personnes pour finaliser le décodage et comprendre le contenu de ces messages.
Saviez-vous que la plupart de ces personnes était des femmes ? Voilà pourquoi j’ai choisi de vous parler de ce sujet aujourd’hui. C’est à Bletchley Park - le centre de cryptologie d’Angleterre - que des centaines de femmes œuvraient chaque jour à décoder des dizaines de messages transmis par leurs ennemis.
Bien que sous-représentées dans les domaines considérés comme haut placés, tel que la cryptanalyse, les femmes représentaient 75% des travailleurs à Bletchley Park. Pour la plupart, employées dans des domaines comme le fonctionnement des machines, la traduction, l'analyse du trafic et d'autres encore. Cependant, comme le besoin en main d’œuvre ne faisait que s’accroître, les dirigeants de Bletchley Park décidèrent de recruter plus de femmes, par exemple par l’intermédiaire d’un concours de mots croisés édité dans un journal renommé, en marge des femmes servant déjà dans l’armée britannique. Les hommes étant pour la plupart partis à la guerre, ces femmes purent également accéder à des programmes de sciences, technologie, ingénierie et mathématiques.
Quelques-unes de ces femmes ont d’ailleurs pu accéder au rang de cryptanalystes. Certaines ont travaillé sur les dispositifs de décryptage conçus par Alan Turing, d’autres au décryptage des messages eux-mêmes. Plusieurs ont d’ailleurs permis le décodage de messages d’une importance capitale lors de différentes batailles pendant la guerre.
Certaines de ces femmes telles que Margaret Rock, Mavis Lever et Joan Clarke sont désormais connues, après avoir brisé le silence autour du travail des femmes à Bletchley Park, tenu secret par le gouvernement britannique jusque vers les années 70. Ces femmes, en prouvant leur force et qu’elles avaient leur place dans des métiers techniques ont ainsi sauvé de nombreuses vies. Il aura fallu des décennies avant que le monde puisse apprécier à leur juste valeur leurs contributions capitales, en temps de guerre, dans des milieux techniques et intellectuels, domaines que l’on disait « ne pas être pour elles ».
Les batailles que ces femmes ont menées sont peut-être terminées, mais le combat qu’elles ont dû mener pour prouver qu’elles étaient à leur place ne l’est pas encore tout à fait. C’est donc à nous, futures ingénieures et actrices des domaines techniques de continuer ce combat !