Les hautes écoles s’engagent «Pour des soins infirmiers forts»
Carole Wyser
« Applaudir le personnel infirmier ne suffit pas, il faut maintenant transformer cette reconnaissance en actions concrètes. Nous sommes toutes et tous concerné·es. La pandémie a démontré à chacun·e d’entre nous que le personnel soignant est un pilier de notre système socio-sanitaire. Il faut absolument prendre la mesure de la votation du 28 novembre : le choix que nous ferons impactera tout notre système sanitaire et aura des conséquences, positives je l’espère, pour notre futur. »
Un contexte professionnel en pleine évolution
Pour Nataly Viens Python, il convient d’abord de rappeler le contexte dans lequel intervient cette initiative. En effet, le système de santé est confronté à plusieurs défis urgents : le vieillissement de la population qui va de pair avec une augmentation des maladies chroniques, l’évolution de la prise en charge des patient·es (diminution de la durée des hospitalisations et augmentation des prestations de soins à domicile) et enfin des soins toujours plus complexes dans tous les secteurs d’intervention. « Ces changements exigent un haut niveau de compétences infirmières. Avec son niveau Bachelor, la formation en HES est donc particulièrement pertinente pour former des professionnel·les à la hauteur de ces défis. La fonction de leader des infirmières et infirmiers est fondamentale et toujours plus importante. Elles·ils doivent pouvoir coacher le personnel soignant, accompagner les proches aidants, dispenser une expertise clinique, détecter les complications, assurer la sécurité des soins et savoir réagir face aux situations quotidiennes. L’infirmier·ière HES assure ainsi un rôle indispensable en première ligne auprès des patient·es. »
Soutenir la formation et améliorer les conditions de travail
Les patient·es sont encore et toujours au cœur des préoccupations des infirmier·ères. La qualité des soins est essentielle pour la profession mais elle est mise à mal par la pénurie de personnel soignant, déjà perceptible dans certains milieux. L’initiative apporte des solutions concrètes à ce problème, comme l’explique Carole Wyser : « Les compétences des infirmiers et infirmières ainsi que la dotation en personnel soignant qualifié ont un impact significatif sur la qualité des soins et la sécurité des patient·es. Cette initiative, qui soutient tant la formation que l’amélioration des conditions de travail, est donc cruciale pour apporter des réponses durables à la pénurie du personnel infirmier. En effet, si l’un des enjeux est de former en nombre suffisant du personnel soignant hautement qualifié, il importe de pouvoir améliorer les conditions de travail (structure favorable à la vie familiale, rémunération, reconnaissance d’une autonomie de prescription, évolution de carrière) pour prévenir les abandons prématurés de la profession. »
Car le constat est sans appel : près d’un tiers des infirmier·ères quitte la profession avant l’âge de 35 ans. Pour Nataly Viens Python, « il s’agit d’une question déontologique : pourquoi former des professionnel·les qui ne bénéficieront pas des conditions nécessaires pour mettre en pratique leurs compétences ou garantir la qualité des soins et qui quitteront la profession, épuisé·es, à peine âgé·es de 35 ans ? ».
Pour Jacques Chapuis également, qualité des soins et carrières infirmières vont de pair : « conserver les infirmier·ères expérimenté·es en poste revient à s’assurer de leur satisfaction au travail et cette dernière repose, entre autres, sur l’adéquation entre la réalité clinique et les valeurs de la profession. A cet égard, la qualité des soins prodigués et la sécurité des usager·ères constituent des valeurs-clés sur lesquelles les infirmières et infirmiers ne sont pas prêt·es à transiger. »
Contre-projet insuffisant
Lors du scrutin du 28 novembre, le peuple suisse devra également se prononcer sur le contre-projet du Conseil fédéral et du Parlement. Celui-ci, bien qu’il mette l’accent sur la formation des infirmières et infirmiers, reste amplement insuffisant, estiment les directeur·trices des trois hautes écoles. « Le contre-projet ne va pas assez loin et rate largement la cible », souligne Jacques Chapuis. « La réponse que les parlementaires offrent aux questions de formation est assez surprenante, puisque que l’argent promis ne sera accessible que si les cantons doublent la mise, ce qui n’est pas assuré du tout. De plus, si la somme paraît rondelette, il n’est pas clairement défini à quoi elle devrait servir. Une sorte de promesse peu concrète et hypothéquée qui serait censée augmenter drastiquement les effectifs des écoles. Mais celles-ci sont déjà pleines en Suisse romande et leur développement se trouve limité par la saturation des terrains de stage. » La question des stages est également soulevée par Nataly Viens Python : « Un autre aspect important à relever au sujet de ce contre-projet, c’est la réalité des milieux de formation. Un tiers de la formation se déroule dans les milieux pratiques sous forme de stages. C’est bien de former plus de professionnel·les, mais encore faut-il offrir un suivi de qualité aux étudiant·es pendant ces périodes de formation pratique. En renforçant les équipes de soins, l’initiative permettrait d’assurer la qualité de ce suivi, ce qui n’est pas le cas du contre-projet. »
Mais ce que reprochent principalement les trois directeur·trices au contre-projet, c’est de passer à côté de la question liées aux conditions de travail. « Il est illusoire de vouloir apporter des réponses à la pénurie du personnel infirmier sans prendre en considération la nécessité d’améliorer des conditions de travail de la profession. Former sans retenir est un investissement peu rentable pour notre système de santé. Ces deux éléments sont indissociables pour garantir l’attractivité de la profession et pallier la pénurie de professionnel·les. », indique Carole Wyser. Jacques Chapuis abonde : « Ouvrir le porte-monnaie pour former d’importants effectifs compensatoires ne règle pas les causes de l’abandon de la profession infirmière ; c’est pour cette raison que le contre-projet rate sa cible alors que l’initiative s’attache à régler cet enjeu majeur. »
Des jeunes toujours plus motivé·es
Les conditions de travail actuelles des infirmier·ères ne semblent pourtant pas avoir entravé l’enthousiasme de la jeune génération pour cette profession, bien au contraire. La HES-SO a connu un record d’inscriptions pour le Bachelor en Soins infirmiers à la rentrée 2021. Le nombre d’étudiant·es en 1ère année avoisine les 1'000, soit une augmentation d’environ 17% par rapport à 2020. Des chiffres qui interpellent vu le contexte parfois difficile dans lequel exercent les infirmier·ères. Pour Jacques Chapuis, « le Covid-19 a certainement mis en valeur les infirmières et les infirmiers. Une partie de la population a compris que le système sanitaire est porté par cette profession-pivot. Les jeunes nous disent que cette profession donne du sens à l’étude et aux efforts à consentir ; cette notion de sens me paraît centrale. » Une analyse que partage Nataly Viens Python : « Contrairement à ce que certains pourraient penser, les jeunes ne cherchent pas du tout à fuir les difficultés. Ils sont en recherche d’un travail qui fasse du sens, qui leur procure des responsabilités et de la fierté. » Carole Wyser note également l’importance et l’attractivité du titre de Bachelor : « Le niveau de formation Bachelor ouvre des opportunités d’évolution professionnelle intéressantes, notamment dans une perspective de Life Long Learning et d’une reconnaissance de la pratique avancée. » Le défi est maintenant que ces jeunes infirmières et infirmiers poursuivent leur engagement dans la profession bien au-delà de l’âge de 35 ans.
Le mot de la fin
Carole Wyser
« Applaudir le personnel infirmier ne suffit pas, il faut maintenant transformer cette reconnaissance en actions concrètes. Nous sommes toutes et tous concerné·es. La pandémie a démontré à chacun·e d’entre nous que le personnel soignant est un pilier de notre système socio-sanitaire. Il faut absolument prendre la mesure de la votation du 28 novembre : le choix que nous ferons impactera tout notre système sanitaire et aura des conséquences, positives je l’espère, pour notre futur. »
Jacques Chapuis
« La campagne en faveur de l’initiative met les infirmières et les infirmiers sous les projecteurs et c’est là une belle occasion de leur rendre un hommage plus durable que les applaudissements lors de la première vague de Covid-19. Par ailleurs, mener un tel combat politique propulse les infirmier·ères dans une sphère inhabituelle, celle du pouvoir, de l’influence et de la politique. Cette profession se voit appelée à débattre, à argumenter et à mettre en valeur son degré d’expertise et l'étendue de sa pratique. Un contre-pied salutaire pour une profession essentiellement centrée sur son service aux malades. »
Nataly Viens Python
« Au fond, ce qui est au cœur de cette initiative, c’est de garantir à toute la population suisse l’accès à des soins infirmiers de qualité. C’est donc bien de la santé des Suissesses et des Suisses dont il s’agit. C’est le droit de se faire soigner dignement en garantissant la sécurité des patient·es. Nous sommes toutes et tous concerné·es ! Dans ce sens, il s’agit d’un bien commun qui mérite pleinement d’être inscrit dans la Constitution, tel que cela existe pour d’autres domaines. Cela fait des années que les professionnel·les des soins tentent d’alarmer sur les difficultés existantes et la menace qu’elles représentent pour l’accessibilité aux soins et la qualité des soins et cette initiative propose des solutions. »